• L'oiseau assoiffé de verticalité étudie le monde qui chavire.

     


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  • Le vieux se leva comme chaque matin. Il passa sa veste qui portait comme lui l’outrage des ans. Sa femme lui tendit la joue droite comme chaque jour depuis 60 ans. Elle l’avait maintenant un peu fripée comme si le baiser journalier y avait creusé son sillon. Il l’embrassa et demanda :

    « Et moi, j’y ai pas droit ? »

    «  C’que t’es bête ! lui répondit-elle comme tous les jours. Tu sais bien que ton tour vient après. C’est comme ça depuis qu’on s’connait. Et depuis qu’on s’connait tu fais semblant de rien. »

    Alors ils partent d’un rire commun ténu et chevrotant signe de ces nombreuses années de complicité.

    Et le voila sur le chemin de la boulangerie. Vouté et hésitant. Comme si le pied cherchait le relief sous la semelle sans grande certitude.

    Elle le regarde s’éloigner jusqu’au tournant, fait un geste du bras. Captivé par sa route et la traitresse des cailloux, il ne se retourne pas. Quand il a disparut, elle ferme doucement la vieille porte en bois. Les lézardes y écrivent le temps qui s’est assoupi là.

    Elle prend le balai pour nettoyer les tomettes rouges ternies. Faites à la main, elles retiennent la poussière et donnent bien du mal. Elles sont là depuis toujours, du temps où l’industrie n’existait pas encore.

    Elle sort trois carottes qu’elle épluche. Va chercher deux pommes de terre et un oignon. Elle prend maintenant le morceau de porc et la marmite en fonte. Elle fait revenir l’oignon et la viande. Et met en route le ragoût.

    Elle a fini de lancer le frichti. Il devrait arriver. C’est le temps qu’il lui faut pour être de retour. Elle va ouvrir la porte. Inquiète, elle ne le voit pas, même au tournant.

    Depuis toujours, il arrive quand elle est en train d’éplucher les légumes. Il arrive après la mise en route de la cuisson s’il y a exceptionnellement plus de monde chez le boulanger.

    Alors elle reste là sur le pas de la porte, les bras ballants, le souffle comprimé. Elle sent les battements de son cœur à sa tempe. « Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé. » Elle sent ses jambes lourdes et une grosse fatigue lui tomber dans les yeux. Elle cherche une chaise qu’elle traine lourdement devant la porte. Commence l’attente.

    Huit coups sonnent à l’église du village, là-bas derrière le tournant.

    Elle voit en surgir le petit Damien. Il marche vite, courant par moment. C’est curieux, elle ne la jamais vu par ici. Elle le voit qui se rapproche de son pas irrégulier, comme s’il était à bout d’efforts. Et puis le voila, là, à portée de parole. Elle se lève.

    « Bonjour Mamie, dit-il. C’est le père qui m’envoie. Pour dire que le Papi, il est tombé. Ils ont appelé les secours. Ils attendent qu’ils arrivent. »

    Un bourdonnement envahit la tête de la vieille dame. Des tâches noires dansent devant ses yeux. Elle s’assied. Tête baissée. Une larme. Ses mains tremblent…

    Damien se déhanche. D’un pied sur l’autre. Il est malheureux. Ne sait que faire. Quelques minutes passent. Sans fin.

    Alors Mamie, qui n’est plus allée au village depuis bien des lustres, met ses chaussures. Damien proteste. « Non, Mamie, ne bougez pas. Dès que la fournée du pain est terminée, mon père va venir. »

    Mamie prend une canne du Papi, un peu trop longue pour elle.

    « Donne-moi le bras Damien. C’est le mieux que j’ai à faire. Je ne peux pas rester ici, sans savoir. Je ne le supporterai pas.» Elle se met en route.

    La vieille femme et l’enfant cheminent de concert jusqu’au tournant, doucement parce que plus, ce n’est plus possible.

    C’est alors que se présente Alfred dans sa voiture.

    « Viens Mamie, dit-il, monte que je te mène. » Il la dépose au village chez lui. Emilie , sa femme, lui propose la goutte et quelques gâteaux. Mais elle s’impatiente :

    « Mais qu’est-ce qu’il a le Papi, à la fin. Pourquoi vous me dites rien. »

    « Mamie, le médecin est venu. Il n’y a plus rien à faire. Il a fait un infarctus. »

    Alors Mamie se vide de son sang, devient blafarde. Son souffle reste suspendu. Ses yeux deviennent vides. Une longue plainte sourde s’élève de sa poitrine.

    Alors l’Emilie la prend contre elle, la berce doucement adoptant la même plainte. Et le cœur de la vieille femme fait sourdre toute sa douleur dans ce long hululement où elle rencontre la souffrance de l’Emilie de la voir dans une telle détresse.


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  • Petit Etolukso arrête un instant son souffle au-dessus d’une silhouette calcinée, recroquevillée sur ses rides. Elle étend des bras noircis torturés. Petit Etolukso regarde la planète qu’il survole. Puzzle stérilisé. Des sillons acérés, larmes de glaciers fondus, la strient de grandes balafres. Des carcasses abandonnées, cirées par les crocs avides qui les ont nettoyées, transpirent le désarroi.

    Petit Etolukso interroge son grand-père.

    - Non, il n’y a rien eu à faire. Les êtres dominant cette planète l’ont dépecé jusqu’à en extraire les dernières richesses. Leurs émanations ont modifié le mélange atmosphérique. La terre n’a plus produit. La faim et la soif ont sévi. La guerre pour les denrées vitales s’est installée.

    Son grand-père est grave, son regard alourdi de tristesse. Petit Etolukso l’interroge encore une fois.

    -Nous avions mis beaucoup d'espoir dans ces êtres. Je crois que nous avons fait une erreur de composition chimique pour cette espèce. La seule à avoir auto détruit ses ressources vitales et à avoir organisé les conditions de sa disparition. Nous avons sans doute été trop ambitieux. Les moyens que nous lui avons donnés étaient presqu’illimités. Elle n’a pas su en dompter les dangers.

    Petit Etolukso attire l’attention de son grand-père. Au loin, il aperçoit un étrange phénomène. Les deux esprits s’approchent de la nuée blanche qui descend souplement.

    - C’est l’esprit de l’eau. Sa présence signale un souffle de vie.

    Petit Etolukso voit en bas, tout en bas, sous lui, un arbre mort.

    - La dernière femme, dit son grand-père. Je croyais qu’il n’y en avait plus. Il t’aura été donné de la voir, Etolukso.

    - Je vais lui parler, dit le petit fébrilement.

    Il descend vers la silhouette tassée sur sa détresse, perchée sur la silhouette d'ébène. Il l’entoure de son souffle curieux. Un reflet de douceur passe dans les yeux de la femme.

    Les esprits s’éloignent. Ils ne peuvent plus rien pour elle.

     

    Le tableau qui a inspiré cette nouvelle se trouve ici

     

     

     


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  • Le clown brandit comme chaque jour son vieux nez rouge

    Il en voit, ce nez. Des visages attentifs.

    Éclatés en rires joyeux et facétieux,

    Nantie d’une larme de joie.

    Des enfants qui battent des mains.

    Des petits aux culottes courtes et à la barbe à papa.

    Il les regarde partir.

    Jusqu’à l’ouverture de la grande tente.

    Il fait un petit signe de la main

    A ceux qui jettent un regard en arrière.

    Timide, soudain.

     

    Et puis, il va, la tête basse, à sa roulotte.

    Il n’a pas d’enfant.

     


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    La ruelle fredonne ses couleurs. Habillés de mousseline, les volets  ressemblent à des papillons. Ils s’ouvrent et se ferment sur des rires translucides et des murmures mutins. Ils soulignent le tour de leurs yeux d’une touche douceur de mousse.

    S’ils guettent, c’est qu’ils aiment le contact. Ils serrent la pince au passant pour échanger sur l’avancée du potager. Ils l’invitent volontiers à partager les dernières groseilles ou la goutte de l’année passée. C’est tendre de se soutenir quand le mirabellier a la moniliose ou la salade , le mildiou. De confidence en secret, les volets tissent des passerelles. Ponts suspendus, diaphane comme le travail d’une araignée.

    Parfois un éclat de voix assombrit leurs sourcils. Frémissement dans la rue. Souvenir d’une époque ancienne. Les volets mauves et les volets verts se faisaient la guerre. C’était infernal. Du soir au matin, dès la fin du travail jusqu’à la reprise, le lendemain. C’était cris et croisement de fer.

    Les vieux s’en sont allés. La paix est revenue.

    Désormais, la colère est détricotée par le parcours de « l’encolère ». Les volets, qui virent au rouge, descendent en courant la ruelle pimpante et gagnent les rochers noirs qui bordent la plage. Ils les escaladent en tous sens tant que besoin en est, en interpelant vivement la mer sur leur malheur. De retour au village, une joute oratoire est organisée entre les encolères. Chacun adopte les arguments de l’autre pour se moquer de son propre point de vue. Puis chacun prend ses arguments personnels et en fait une plaisanterie. La mise en scène se termine dans la bonne humeur. Le différend peut se régler dans la douceur.

    La ruelle ne vire plus au rouge, ne broie plus du noir, elle a des senteurs de pays heureux. Les fleurs s’y installent. Touches ciel, aurore et sable. Le réverbère colporte un air de bon vieux temps. Parfum léger, comme celui d’une grand-mère aux longs cheveux blancs et aux confitures d’abeille. Arrêtez-vous à la table ronde en fer ajouré, asseyez-vous et goûtez la tartine dégoulinante que l’on vous offre.

     

    Ce texte a été inspiré par le mail art La Bicyclette Bleue, ici

     

     


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  • - Maître, disait-il, vous nous enseignez que la tradition est barbare...

    - C'est la tradition qui nourrit les guerres, la tradition qui force les hommes à des travaux épuisants, la tradition qui creuse le fossé entre riches et pauvres, la tradition encore qui invente des cultes pour séparer les hommes. N'est-ce pas de la barbarie ?

    - Qu'appelez-vous précisément tradition ?

    - Ce sont des règles de vie, édictées par on ne sait plus qui, ou par une divinité malfaisante à tête de crapaud. Les gens s'y habituent, ils y croient, ils l'appliquent sans jamais la remettre en question. Personne ne se lève et dit : "Cette règle est idiote!" Je vais vous donner un exemple. Un jour, une secte décide qu'il ne faut pas manger de potiron. Les potirons sont donc bannis. Ils causent même l'effroi des sectateurs. "Tu as mangé une bouchée de potiron ? Malheureux! Tu vas périr dans d'affreuses souffrances! Vite, recrache pendant qu'il est temps et jure de ne pas recommencer!" De l'autre côté de la rivière, imaginons une tribu d'adorateurs du potiron. 0Que vont-ils faire ? Vont-ils traverser la rivière pour hacher menu ceux qui identifient le potiron au mal absolu ? Sans doute. Les guerres n'ont pas d'autres origines. Chacun reste emmuré dans ses croyances, qui vont à l'encontre des croyances du voisin. Ne trouvez vous pas que c'est stupide ?

    - Stupide, Maître, mais aussi mortel.

    - Eh oui, Lin-lei. Je vous engage tous à étudier ce que préconisent les sectes : leurs interdits ne sont que des signes de reconnaissance. Entre eux, ils s'appellent frères. Tous les autres, ils les rejettent. Cette détestation des uns pour le potiron, elle vient peut-être d'une indigestion, puis ces mots de ventre alimentent une croyance, et la croyance devient des mots encore plus grands.

    Tse-lou va nous cueillir un potiron!

     

    Le Maître - Patrick Rambaud de l'Acadélie Goncourt - Roman - Bernard Grasset


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    Il était une tulipe légère, si légère que son souffle créait de jolies bulles irisées. Il y en avait de toutes les couleurs. Les papillons s'y reposaient lorsqu'ils étaient fatigués. Lorsqu'elles éclataient, cela faisait des petits confettis joyeux. Les enfants les guettaient pour en emplir leurs poches. Quand ils arrivaient à la maison, il restait une jolie trace aquarelle sur leur main.

     

    L'illustration de cette histoire très courte est ici


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    L'attrapeuse de rêves

     

    L'illustration de cette histoire est ici


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    Olivier a un petit carnet aux couleurs de l’arc-en-ciel et une plume ailes de papillon. Il les emporte partout avec lui : il tant dessiner et conter le monde.
    Les arbres, le voyant arriver, font la pause. Les bancs publics se recoiffent. Les chats se nettoient minutieusement le minois. Les réverbères font la révérence. Tout un chacun se réjouit.
    Et puis, un jour, Olivier oublie son petit carnet sur le banc d’un parc. Ainsi que le lendemain. Et ainsi de suite jour après jour. Olivier est amoureux. Mais chuuutt !
    Le petit carnet a très faim. Olivier ne le nourrit plus. Il dévore alors tout ce qui vit, pousse et demeure autour de lui.
    Olivier, à quelques temps de là, passe par le parc. Il y trouve son petit carnet.
    Seul… Au milieu de rien.

     

    L'illustration de ce texte est ici


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  • - Le rêve, il vient d’où ?
    - Le rêve ? Il vit parmi les nuages.
    Il monte. Il descend.Il gambade.
    Il aime s’arrêter auprès des enfants qui
    s’ennuient. Ils ont du temps pour jouer.
    Il préfère encore les enfants qui ont mal
    à la vie. Le rêve les emporte en voyage dans la lune avec de grands éclats d’imagination.

     

    L'illustration de ce texte est ici


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