• Les derniers poètes - Duo Margimond / Bleu Ebouriffé

    Tandis que le fleuve roulait ses ordres moraux, arrachant aux rives instables, les derniers lambeaux de dissidence, un vent libéral avait pris en force. Des rafales teigneuses arrachaient au libre arbitre ses derniers remparts, pour les disperser à travers les champs d'honneur.

     

    Au milieu des eaux brunes se noyaient les derniers esprits éclairés. Leurs poumons s'emplissaient de la pensée unique à laquelle ils ne pourraient survivre.

     

    Une lune blafarde crevait avec peine un ciel qui s'embrunissait peu à peu, jusqu'à se fondre avec les eaux fangeuses du fleuve.

     

    Sur la rive, quelques poètes luttaient encore contre le déracinement. Ils se risquaient malgré le vent, à graver sur l'écorce des arbres à palabre, le mot Liberté. Mais la pointe émoussée de leur plume refusait toutes traces.

     

    Le vent passa son dernier coup d'éponge et la Terre devint propre.

     

    En contre bas, l'argent sale honora la fondation d'un village aux maisons toutes blanches et identiques.

    Margimond - Carnet de dévoyage

     

    ...Et la Terre devint blanche. Blanche, dépourvue d'aspérités, sans même un grain de poivre. Telle une orgie d'épuration. Un recyclage extrême jusqu'à l'absence de contraste. Une désertion des contraires. Une tempête de pureté virginale stérile.

    La couleur s'en est allée avec les dissidents dissous dans les remous du fleuve brun. Le gris beige est devenue albâtre. Un monde uniforme d'où rien n'émerge, rien ne se crée, rien ne disparait. Figé dans son unicité terne et aphone.

     

    Dans le blanc du firmament nait un souffle léger d'abord. Se gonflant progressivement non d'importance. Mais de force. Comme une magnifique colère qui enfle. Et dérange l'unité morte. Provoquant de petits gromelos de nuages de nuances ivoires. Des dissidents de blancs qui se teintent de rose et de jaune. Oh légers très légers. Mais tout de même, à ne pas négliger.

     

    Le blanc pisse de trouille et se teinte de vert. C'en est fini du grand décapage radical. L'unité totalitaire sent sa fin approcher. Prend la couleur du deuil. Se pare de rouge violent. C'en est fait de la propreté. Le temps de la différence avec son cortège de différents, d'insolite et de marginal, de conformistes et d'autoritaires, de créatifs et d'originaux se réveille. Paraissant faussement semblable à hier. Assagi par l'expérience de la grande lessive en cours de retraitement...

     

    Les couleurs s'étalent dans une multitude de nuances contrastées et douces. Jaillissement créatif heureux.

    Bleu Ebouriffé

     

     

    « L'appel du papillon - C'est ça la vieLa danse des papillons - Nouvelle du jardin »

    Tags Tags : , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 9 Juillet 2016 à 08:55

    Bravo, voilà une bien belle fin à une situation qui semblait se figer et atteindre la stabilité d'un noyau de fer dans le cosmos.

    Merci d'avoir redonné à ce texte une petite note d'espoir. yes

    2
    Samedi 9 Juillet 2016 à 12:47

    Ma plume a spontanément emboité le pas de la tienne et pris un doux plaisir à transformer le noir en couleur. Merci de m'avoir offert ce moment de plaisir créatif.

    Bise.

    Marie

    3
    Samedi 9 Juillet 2016 à 19:01

    Bel enchaînement ! Bravo smile

    Et belle soirée.

      • Jeudi 28 Juillet 2016 à 22:38

        Parfois l'inspiration vient comme une brise dans les textes collectifs. Une douce émulation fructueuse.

    4
    Mercredi 13 Juillet 2016 à 22:03

    Bonsoir : le yin et le yang des poètes. Bravo ! Bonne soirée   

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    5
    Auria
    Mardi 19 Juillet 2016 à 09:01

    Cela me fait penser au Magicien des Couleurs d'Arnold Lobel : " Dans la nuit des temps [...] presque tout était gris et ce qui n’était pas gris était noir."

    Les poètes ont toujours été des rebelles, "Des dissidents de blancs" et la pointe, même émoussée, de leur plume laissera toujours une trace, même invisible parce que "l'essentiel est invisible pour les yeux".

    Alors il faut continuer à graver sur le souffle du vent, sur les nuages et sur les gouttes de pluies les mots couleur de cœur.

    Merci à vous deux, Bleu et Margimond pour ce rappel chamarré.

    6
    Jeudi 28 Juillet 2016 à 22:39

    C'est magnifique et magique ce que tu as écrit. Merci.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :